Présentation

L’Atelier d’écriture de Solliès-Pont a commencé en septembre 2018 à l’initiative de Tristan Choisel, auteur de théâtre et de chansons. Pourquoi ? Pour s’initier à l’écriture de formes brèves (nouvelles, saynètes…), pour perfectionner son style ou pour simplement explorer son potentiel créatif. Nous sommes sept à partager nos textes dans la bienveillance, un peu d’humour et toujours avec beaucoup de plaisir. L’association « L’Atelier de Solliès-Pont » abrite cette initiative et vous pouvez nous rejoindre si, comme nous, vous avez l’âme d’un écrivain amateur.

Ce blog est la mémoire de notre travail. Il sert à mettre en lumière quelques-uns de nos textes. Enfin, il permet de communiquer entre nous plus facilement.

lundi 27 mai 2019

Le téléphone (saynète)

Consigne : écrire une saynète de théâtre de l'absurde.


Dans le salon, Eulalie assise sur le divan, une cinquantaine d’années, se trouve avec son mari Ernest du même âge. Une échelle est posée devant une fenêtre coté jardin et un clairon est exposé au mur.
Ernest enfile une veste.

EULALIE : Tu pars?    
ERNEST : Oui, j'ai un problème à régler. 

Ernest monte sur l'échelle et s’assied au milieu de celle-ci. Un temps se passe, il se frotte le menton puis redescend de l’échelle.

EULALIE : Tu es déjà là ?
ERNEST : Oui j’ai oublié mon portable 

Il prend une charentaise et remonte au milieu de l’échelle.

EULALIE : Ne te retourne surtout pas, la nonchalance te suit, ne lui donne pas l'impression de travailler. Un peu sur l'échelle, un peu au sol, ne l’étonne pas en atteignant une grande vitesse on ne sait jamais. (Ernest redescend de l’échelle.) Tu es déjà là ? Calme, calme.
ERNEST : Je ne capte pas.
EULALIE : Tiens essaie avec le pince oreille que j’ai pris hier dans le jardin, il est encore vivant je pense que tu capteras mieux.

Eulalie tend à Ernest un pot de confiture contenant le pince oreille ; Ernest remonte au milieu de l’échelle, ouvre le bocal de confiture et laisse tomber le couvercle. Il saisit le pince oreille entre le pouce et l' index droit et le porte à l'oreille. Un temps se passe, il redescend en se tenant l’oreille.  

EULALIE :  Tu es déjà là ? Tu as mis une pivoine à la place de ton oreille? j'aime bien, ça donne du cachet. 
ERNEST : Ce boucan de pince oreille a trouvé refuge dans mon conduit, il me ratisse le tympan et me suce le cérumen.
EULALIE : Il a faim, c'est ça, j'espère que l'amertume ne va pas l’écœurer, je n'ai pas eu le temps de te mettre tes gouttes, le goût aurait été plus sucré.
ERNEST : N'allons pas lui coller un diabète. 
EULALIE: Fais attention, tu sais que le sucre donne du tonus. S'il grimpe jusqu'à ta cervelle aux neurones déconnectés, il risque de disjoncter le pauvre.

Ernest se dandine, Eulalie s’approche de lui, tape dans son oreille gauche et le pince oreille ressort de l’oreille droite.

ERNEST : Aïe ! Tu n'y vas pas de main morte toi, quelle force, je t'admire, regarde j'en ai la tête de travers. 
EULALIE : Le pince oreille ne bouge plus, la chute lui a été fatale ou alors tu l'as empoisonné avec ta cire ou ta cervelle.
ERNEST : Comment je fais pour appeler, je n’ai plus de pince oreille ?
EULALIE :  Mais qui veux-tu appeler ?
ERNEST : Quelqu’un

Eulalie montre du doigt la paire de jumelles posée sur la table du salon. 

EULALIE: Et si tu prenais mon téléphone pour appeler  quelqu’un ?

Ernest saisit les jumelles et remonte sur l'échelle. Du haut de l'échelle, il crie. 

ERNEST : Je n’arrive toujours pas à capter.

Assise sur le divan elle crie.

EULALIE : Capte avec les yeux tu entendras mieux 

Ernest perché sur le milieu de l'échelle regarde dans les jumelles à travers les barreaux. Il semble intrigué par ce qu'il voit. Il descend de l'échelle, prend la porte et se dirige vers le jardin. Eulalie continue de lire. Un temps se passe, Ernest revient.  

EULALIE : Que fais-tu ?
ERNEST : Je suis allé arracher une dent au crocodile
EULALIE :Montre-là moi, elle est grosse ?
ERNEST : Je l’ai jetée dans la piscine,
EULALIE : Pourquoi ?
ERNEST : Elle était cariée.
EULALIE : Comment le sais-tu, tu es dentiste ?
ERNEST : Elle a coulé, c’est un maillon faible.
EULALIE : Donc, toi aussi tu es un maillon faible puisque hier, tu as coulé dans la piscine !
ERNEST : Tu n’as rien compris j’ai coulé parce que j’ai mal aux dents.
EULALIE : C’est bien ce que je dis, le maillon faible a toujours une carie, donc tu as une carie, puisque tu as coulé dans la piscine.
ERNEST : Tu as raison, j’ai mal aux dents.
EULALIE : C’est peut-être pour ça que tu veux téléphoner !
ERNEST : C’est ça, oui, j’ai mal aux dents donc, je vais de ce pas appeler quelqu'un. 
EULALIE : C'est ça, c'est ça va appeler "quelqu'un".

Ernest monte sur le milieu de l'échelle et Eulalie profite du calme pour monter sur la table. Elle installe un coussin et se couche. Ernest redescend de l’échelle et aperçoit sa femme allongée sur la table.

ERNEST : Ha ! Tu travailles?

Ernest prend le clairon exposé dans le salon. Il s’approche d’Eulalie et lui claironne dessus. Eulalie tressaille et d'un sursaut s’assied sur la table la main au cœur. 

EULALIE : C’est l’heure de se coucher ?
ERNEST : Il y a le crocodile qui pleure dehors, ses larmes sont énormes, j’ai peur que la piscine déborde.
EULALIE : Il veut sa dent ?
ERNEST : Impossible elle est cariée

Eulalie prend une pelote de ficelle posée sur la table.

EULALIE : Tiens, sèche-lui ses larmes. (Ernest saisit la pelote de ficelle.) Tu la colles à la paupière inférieure au niveau du canal lacrymal et l’autre bout tu le mets dans le jardin du voisin, c’est sec chez lui.  
ERNEST (En chantant, il prend les mains de sa femme) : Que ferais-je sans toi, qui vins à ma rencontre ? 
EULALIE : Si nous partions en voyage, je te promets de ne pas rester sur le quai. 
ERNEST : Viens ma douce, j’espère que tu aimes la vitesse. (Main dans la main ils montent tous les deux au milieu de l’échelle.) Et le crocodile ? 
EULALIE : Il garde la maison et nous, retrouvons notre équilibre.