Présentation

L’Atelier d’écriture de Solliès-Pont a commencé en septembre 2018 à l’initiative de Tristan Choisel, auteur de théâtre et de chansons. Pourquoi ? Pour s’initier à l’écriture de formes brèves (nouvelles, saynètes…), pour perfectionner son style ou pour simplement explorer son potentiel créatif. Nous sommes sept à partager nos textes dans la bienveillance, un peu d’humour et toujours avec beaucoup de plaisir. L’association « L’Atelier de Solliès-Pont » abrite cette initiative et vous pouvez nous rejoindre si, comme nous, vous avez l’âme d’un écrivain amateur.

Ce blog est la mémoire de notre travail. Il sert à mettre en lumière quelques-uns de nos textes. Enfin, il permet de communiquer entre nous plus facilement.

samedi 29 juin 2019

Les clochardes (saynète)

Consigne : écrire une saynète avec 2 ou 3 personnages de femme uniquement

2 personnages : Sophie et Mireille


C’est la fin de la journée. Une place en centre-ville avec un banc public au milieu. Mireille, d’un âge incertain, fatiguée, arrive en clopinant, chargée d’un gros sac plein à craquer qu’elle pose sur le banc et s’assoit. Elle reste assise immobile quelques instants pour se remettre et jette un regard circulaire pour vérifier la tranquillité du coin. Sophie, plus jeune, arrive d’un pas décidé sur la droite et passe devant Mireille sans vraiment la voir.

MIREILLE : Eh, Sophie, j’suis là.

Sophie s’arrête, se retourne.

SOPHIE : Ça alors ! Mireille ! Je t’aurais pas reconnue !
MIREILLE : Ben c’est-à-dire qu’on rajeunit pas très vite avec la vie qu’on mène !

Mireille pousse son sac au bout du banc, le tapote un peu et s’allonge en chien de fusil. Sophie la rejoint et s’assoit au bord du banc.

MIREILLE (Elle pousse Sophie avec ses pieds et la taquine) : T’es sur MON banc.
SOPHIE : Oh là, pousse pas, si tu veux pas me voir, il fallait pas m'appeler. Et puis de toute façon, il est à tout le monde TON banc !
MIREILLE : Je me le suis approprié, il est à moi.
SOPHIE (Elle ne bouge pas) : T’as le sens de la propriété, toi ! T’as dormi où hier soir ?
MIREILLE : Ben, sur MON banc, pardi ! Allez, dégage.
SOPHIE : Non, je le trouve plutôt accueillant TON banc et je vais m’y reposer quelque temps. (Elle se rapproche de Mireille) On pourrait faire un brin de causette toutes les deux en attendant.
MIREILLE (se rassoit) : En attendant quoi ?
SOPHIE : En attendant (Pause) que l’heure arrive, que le train parte, que la fête commence, que les poules auront des dents, je sais pas moi ! On a le temps d’attendre, nous, non ?
MIREILLE : Pour avoir le temps, ça oui, j’ai le temps, même que je passe le plus clair de mon temps à attendre qu’il passe.
SOPHIE : Ah, tu vois, je savais qu’on avait quelque chose en commun. Dis-moi, si tu n’avais pas de temps, tu ferais quoi ?
MIREILLE (Elle réfléchit) : Sais pas.
SOPHIE : Ben moi, j’ferai tout très vite. (Elle se lève et mime les actions) J’m’habillerais en 5 minutes chrono, j’avalerais mon p’tit dèj en deux temps trois mouvements, j’prendrais le métro en courant, bref, je ferai tout à toute allure.
MIREILLE : Ça m’ rappelle le bon vieux temps…
SOPHIE : Le bon vieux temps ? J’ai pas connu de bon vieux temps, moi, ni bon ni mauvais, ni vieux d’ailleurs.
MIREILLE : Ben moi, si. Même que j’ai parfois un peu de nostalgie pour mon passé.
SOPHIE : Quel passé ? (Elle pointe son index droit vers le sol) Moi, j’ai que le présent. J’ai fait table rase de mon passé. (Elle tend les bras devant elle, paume vers le sol et les déplacent de droite à gauche) Ça fait du bien tu sais. Je te le conseille.
MIREILLE : Alors toi, tu fais table rase ? Et tu fais comment ? Si tu as une baguette magique, j’aimerais bien en profiter car mon passé à moi, il est parfois lourd à porter…
SOPHIE : Bon, allez, je vais t’aider. Ton fardeau, tu le poses là sur le banc. (Elle tapote le banc et dessine une sorte de cercle avec ses mains) Tu lui dis adieu (Elle fait au revoir de la main) et hop (Elle donne un coup de pied dans le vide) voilà, plus de passé.
MIREILLE : Ben voyons ! Fastoche !
SOPHIE : Le problème avec toi, c’est que tu manques d’imagination. Moi, je me suis déjà débarrassée de mon passé alors maintenant, je vis dans le PRÉSENT. Et dans le PRÉSENT, le temps n’existe plus !
MIREILLE : Mais qu’est-ce que tu racontes ?
SOPHIE : Je t’explique. La chance qu’on a, nous, c’est qu’on a plus de lundi matin, (Elle fait une pause) j’ai toujours trouvé ça triste les lundis matin, plus de mardi, mercredi, jeudi, vendredi, plus de semaine quoi. C’est pas bien ça ?
MIREILLE : C’est vrai, c’est pas mal.
SOPHIE : Pas de réveil, pas d’heure fixe, bref pas de TEMPS. C’est pas merveilleux ça ?
MIREILLE : Oui, mais pas de temps, pas de repère. Ça risque de nous mettre le cerveau à l’envers, non ?
SOPHIE : Tu connais l’endroit de l’envers dans ton cerveau toi ? Moi, j’ai déjà du mal avec ma droite (Elle montre sa main gauche) et ma gauche (Elle montre sa main droite puis fais une sorte de moulinet avec ses deux mains qu’elle finit par mettre derrière son dos).
MIREILLE : Ce qui est sûr c’est que tu me fatigues le cerveau, toi. Allez, laisse-moi dormir.
SOPHIE : On va pas dormir tout de suite quand même !
MIREILLE (long soupir) : OK, alors on fait quoi ?
SOPHIE (elle réfléchit, puis se lève) : Ben, on écoute le temps (Elle tend l’oreille). Tu l’entends ? Il fait Tic, Tac, Tic,Tac…
MIREILLE (se lève aussi) : Alors là, tu m’inquiètes, tu commences à délirer grave !
SOPHIE : Concentre-toi, ça va venir…

Mireille hausse les épaules. Sophie reste ainsi un moment, immobile, à écouter. Puis, Mireille se lasse et se rassoit.

MIREILLE : Allez, laisse tomber, ton temps, il est muet comme une carpe.
SOPHIE : C’est parce que tu n’y crois pas assez. Essaye encore.
MIREILLE : Allez, ça suffit, tu racontes n’importe quoi.
SOPHIE : T’es pas drôle tu sais, j’aime bien te faire marcher.
MIREILLE : Ça, je sais et parfois je marche pas, je cours !
SOPHIE : Tu cours après le temps ?
MIREILLE : Mais non, y a bien longtemps que je ne cours plus après n’importe quoi d’ailleurs !
SOPHIE : Par contre, moi, j’arrive toujours à te faire marcher !

Sophie vient se placer debout devant Mireille. Elle regarde au loin avec ses deux mains placées au-dessus de ses sourcils. Mireille la regarde, surprise.

MIREILLE : Tu fais quoi là ?
SOPHIE : Ben je regarde passer le temps, pardi !