Consigne : écrire une saynète avec 2 ou 3 personnages de femme
uniquement
2 personnages : Sophie et Mireille
C’est la fin de la journée. Une place en centre-ville avec
un banc public au milieu. Mireille, d’un âge incertain, fatiguée,
arrive en clopinant, chargée d’un gros sac plein à craquer
qu’elle pose sur le banc et s’assoit. Elle reste assise immobile
quelques instants pour se remettre et jette un regard circulaire pour
vérifier la tranquillité du coin. Sophie, plus jeune, arrive d’un
pas décidé sur la droite et passe devant Mireille sans vraiment la
voir.
MIREILLE : Eh, Sophie, j’suis là.
Sophie s’arrête, se retourne.
SOPHIE : Ça alors ! Mireille ! Je t’aurais pas reconnue
!
MIREILLE : Ben c’est-à-dire qu’on rajeunit pas très
vite avec la vie qu’on mène !
Mireille pousse son sac au bout du banc, le tapote un peu et
s’allonge en chien de fusil. Sophie la rejoint et s’assoit au
bord du banc.
MIREILLE (Elle pousse Sophie avec ses pieds et la
taquine) : T’es sur MON banc.
SOPHIE : Oh là, pousse pas, si tu veux pas me voir, il
fallait pas m'appeler. Et puis de toute façon, il est à tout le
monde TON banc !
MIREILLE : Je me le suis approprié, il est à moi.
SOPHIE (Elle ne bouge pas) : T’as le sens de la
propriété, toi ! T’as dormi où hier soir ?
MIREILLE : Ben, sur MON banc, pardi ! Allez, dégage.
SOPHIE : Non, je le trouve plutôt accueillant TON banc et
je vais m’y reposer quelque temps. (Elle se rapproche de
Mireille) On pourrait faire un brin de causette toutes les deux
en attendant.
MIREILLE (se rassoit) : En attendant quoi ?
SOPHIE : En attendant (Pause) que l’heure arrive,
que le train parte, que la fête commence, que les poules auront des
dents, je sais pas moi ! On a le temps d’attendre, nous, non ?
MIREILLE : Pour avoir le temps, ça oui, j’ai le temps,
même que je passe le plus clair de mon temps à attendre qu’il
passe.
SOPHIE : Ah, tu vois, je savais qu’on avait quelque chose
en commun. Dis-moi, si tu n’avais pas de temps, tu ferais quoi ?
MIREILLE (Elle réfléchit) : Sais pas.
SOPHIE : Ben moi, j’ferai tout très vite. (Elle se
lève et mime les actions) J’m’habillerais en 5 minutes
chrono, j’avalerais mon p’tit dèj en deux temps trois
mouvements, j’prendrais le métro en courant, bref, je ferai tout à
toute allure.
MIREILLE : Ça m’ rappelle le bon vieux temps…
SOPHIE : Le bon vieux temps ? J’ai pas connu de bon vieux
temps, moi, ni bon ni mauvais, ni vieux d’ailleurs.
MIREILLE : Ben moi, si. Même que j’ai parfois un peu de
nostalgie pour mon passé.
SOPHIE : Quel passé ? (Elle pointe son index droit vers
le sol) Moi, j’ai que le présent. J’ai fait table rase de
mon passé. (Elle tend les bras devant elle, paume vers le sol et
les déplacent de droite à gauche) Ça fait du bien tu sais. Je
te le conseille.
MIREILLE : Alors toi, tu fais table rase ? Et tu fais
comment ? Si tu as une baguette magique, j’aimerais bien en
profiter car mon passé à moi, il est parfois lourd à porter…
SOPHIE : Bon, allez, je vais t’aider. Ton fardeau, tu le
poses là sur le banc. (Elle tapote le banc et dessine une sorte
de cercle avec ses mains) Tu lui dis adieu (Elle fait au
revoir de la main) et hop (Elle donne un coup de pied dans le
vide) voilà, plus de passé.
MIREILLE : Ben voyons ! Fastoche !
SOPHIE : Le problème avec toi, c’est que tu manques
d’imagination. Moi, je me suis déjà débarrassée de mon passé
alors maintenant, je vis dans le PRÉSENT. Et dans le PRÉSENT, le
temps n’existe plus !
MIREILLE : Mais qu’est-ce que tu racontes ?
SOPHIE : Je t’explique. La chance qu’on a, nous, c’est
qu’on a plus de lundi matin, (Elle fait une pause) j’ai
toujours trouvé ça triste les lundis matin, plus de mardi,
mercredi, jeudi, vendredi, plus de semaine quoi. C’est pas bien ça
?
MIREILLE : C’est vrai, c’est pas mal.
SOPHIE : Pas de réveil, pas d’heure fixe, bref pas de
TEMPS. C’est pas merveilleux ça ?
MIREILLE : Oui, mais pas de temps, pas de repère. Ça
risque de nous mettre le cerveau à l’envers, non ?
SOPHIE : Tu connais l’endroit de l’envers dans ton
cerveau toi ? Moi, j’ai déjà du mal avec ma droite (Elle
montre sa main gauche) et ma gauche (Elle montre sa main
droite puis fais une sorte de moulinet avec ses deux mains qu’elle
finit par mettre derrière son dos).
MIREILLE : Ce qui est sûr c’est que tu me fatigues le
cerveau, toi. Allez, laisse-moi dormir.
SOPHIE : On va pas dormir tout de suite quand même !
MIREILLE (long soupir) : OK, alors on fait quoi ?
SOPHIE (elle réfléchit, puis se lève) : Ben, on
écoute le temps (Elle tend l’oreille). Tu l’entends ? Il
fait Tic, Tac, Tic,Tac…
MIREILLE (se lève aussi) : Alors là, tu
m’inquiètes, tu commences à délirer grave !
SOPHIE : Concentre-toi, ça va venir…
Mireille hausse les épaules. Sophie reste ainsi un moment,
immobile, à écouter. Puis, Mireille se lasse et se rassoit.
MIREILLE : Allez, laisse tomber, ton temps, il est muet
comme une carpe.
SOPHIE : C’est parce que tu n’y crois pas assez. Essaye
encore.
MIREILLE : Allez, ça suffit, tu racontes n’importe quoi.
SOPHIE : T’es pas drôle tu sais, j’aime bien te faire
marcher.
MIREILLE : Ça, je sais et parfois je marche pas, je cours
!
SOPHIE : Tu cours après le temps ?
MIREILLE : Mais non, y a bien longtemps que je ne cours
plus après n’importe quoi d’ailleurs !
SOPHIE : Par contre, moi, j’arrive toujours à te faire
marcher !
Sophie vient se placer debout devant Mireille. Elle regarde au
loin avec ses deux mains placées au-dessus de ses sourcils. Mireille
la regarde, surprise.
MIREILLE : Tu fais quoi là ?
SOPHIE : Ben je regarde passer le temps, pardi !