Présentation

L’Atelier d’écriture de Solliès-Pont a commencé en septembre 2018 à l’initiative de Tristan Choisel, auteur de théâtre et de chansons. Pourquoi ? Pour s’initier à l’écriture de formes brèves (nouvelles, saynètes…), pour perfectionner son style ou pour simplement explorer son potentiel créatif. Nous sommes sept à partager nos textes dans la bienveillance, un peu d’humour et toujours avec beaucoup de plaisir. L’association « L’Atelier de Solliès-Pont » abrite cette initiative et vous pouvez nous rejoindre si, comme nous, vous avez l’âme d’un écrivain amateur.

Ce blog est la mémoire de notre travail. Il sert à mettre en lumière quelques-uns de nos textes. Enfin, il permet de communiquer entre nous plus facilement.

mercredi 28 décembre 2022

Libérée



La machine à laver, symbole de mon émancipation. Mon émancipation que je revendique tambour battant. Mon premier achat de jeune femme indépendante. Mon premier achat à crédit. La télé ce sera pour plus tard, tant pis, j’ai un écran magique qui tourne et me fait voyager quand je le contemple. Avec un petit goût de mal de mer en fin de cycle.

Me voici comme ma mère, libérée. Je me rappelle dans l’Allier, chez mes arrières grands-parents : pas d’eau chaude, pas de douche, pas de machine à laver et évidemment pas de téléphone ni de télévision. L’été, les adultes sortaient un grand baquet en fer-blanc qu’ils disposaient dans le jardin, ils faisaient chauffer l’eau sur le feu et les enfants, on prenait notre bain en plein air, joyeux intermède familial. Le baquet devait servir aussi pour la lessive mais je n’en ai aucun souvenir. Juste les draps rêches dans les lits recouverts de gros et lourds édredons.

Aujourd’hui à mon crédit, la machine à laver, qui m’exonère d’une tâche ingrate. Finie la fatigue superflue et les mains sèches. Vive le vernis à ongles et un bon roman. Entre deux chapitres de ce roman, un nuage passe, un moment suspendu. Seule entre les quatre murs de mon logement HLM, mon premier appartement de jeune femme indépendante, la nostalgie me prend du baquet en fer-blanc. Vilaine pensée à balancer dans le tambour béant.



Consigne : L'animateur a demandé à chaque autrice de choisir un thème et de le traiter durant plusieurs semaines. J'ai choisi "la machine à laver".

mardi 20 décembre 2022

Mal préparée

Deux villages népalais doivent s’unir pour mettre fin aux guerres de territoires. Leurs chefs se sont entendus pour préserver les générations futures lors de l’heureuse naissance d'Isia, la fille du premier dignitaire. Elle sera mariée à 10 ans avec le chef voisin. Cet accord permet à tous de profiter des verts pâturages pour le bétail, de s’abreuver à toutes les sources et de bénéficier d’un ensoleillement équitable. Un rêve devenu réalité grâce au pacte signé et à l’intelligence des hommes.

Petite Isia grandit et comme promis son mariage est célébré le jour même de ses 10 ans. Tous les villageois participent aux préparatifs de la fête devenue sacrée. Chacun met la main à la pâte pour la cuisine et les décorations des maisons, des bêtes, des chemins, des montagnes et même des lacs.

Tout est prêt, la cérémonie peut commencer.

Toute voilée de rouge et de paillettes, Isia rejoint son époux âgé maintenant de cinquante ans. Des rumeurs circulent. La jeune épouse serait pubère. La descendance ne devrait pas tarder. Le marié s’en réjouit.

Les vœux des époux étant prononcés, l’heureux mari soulève le joli voile de sa femme pour l’embrasser. Comme elle est belle ! Ses yeux noirs perçants le troublent. Il s’approche de sa bouche pulpeuse où ses dents étincellent. Mais subitement, telle une lionne, Isia se jette sur sa bouche et lui arrache les lèvres.

Une jeune mariée, sans doute mal préparée…





Consigne en atelier du 16/12/22 : en titre « Mal préparée » 15 mn
Catherine

 

dimanche 18 décembre 2022

Abribus

Épuisée, Marguerite décide de se reposer sur un banc sous un abribus. Elle ne sait plus depuis combien de temps elle marche. Elle sent qu’elle ne peut pas aller plus loin. S’asseoir pour soulager ses jambes, ses pieds et ses articulations. Ses douleurs s’apaisent laissant place à la faim. Elle rêve de chocolat chaud et de croissants. Tout le monde s’agite en ce début de journée. Les travailleurs et collégiens attendent leur bus, rivés sur leur téléphone, les écouteurs plantés dans les oreilles. Marguerite s’étonne de l’agitation de cette nouvelle génération. A son époque, il suffisait d’attendre le bus, un point c’est tout.

- Vous attendez le 40 ? dit la dame assise à côté de Marguerite.

- Non.

- Vous prenez quel bus ?

- Je ne sais pas. Je me repose.

- Vous avez dû partir vite de chez vous ce matin.

- Je ne me souviens pas. Pourquoi ?

- Si vous me permettez... Vous avez toujours vos pantoufles aux pieds.

- Vous êtes gentille madame. Mais je ne me rappelle pas. Je sais que j’ai marché toute la nuit. Je n’en peux plus, alors je fais une pause ici.

- J’ai bien vu que vous étiez fatiguée, c’est pour cela que je vous ai parlé. Vous allez où comme ça ?

- Je ne sais pas, je ne sais plus.

- Ne vous inquiétez pas. Nous allons trouver. Avez vous un téléphone ? Fouillez dans vos poches.

Marguerite plonge ses mains glacées dans ses poches mais n’y trouve rien. Elle se souvient de son collier. Oui, elle se souvient. « Maman, si tu te perds, regarde ton collier » Elle l’extirpe au dessus de sa pelisse. Une petite pancarte indique son nom et un numéro de téléphone à composer.






Consigne pour le 16/12/22: Fiction sur le thème choisi pour le trimestre en 15 lignes. Thème choisi: la mémoire

Catherine

 

samedi 17 décembre 2022

La Réponse de l'Homme

- Et pourquoi je devrais y voir plus clair ?

- Ça me paraît indispensable. Si cela continue, tu cours à la catastrophe

- Pour moi, cette pièce tient la route, contrairement à toi. Les acteurs ont lu la pièce et ils incarnent tous parfaitement leur rôle. Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus.

- Tes acteurs doivent avoir peur de toi. Ouvre les yeux et les oreilles. Moi, je vois et j’entends ce que toi tu n’entends ni ne vois.

- Et qu’est-ce qui se dit, beau prince ?

- Que cela n’a ni queue ni tête, ce en quoi je suis tout à fait d’accord. Personne ne comprend où tu veux en venir. C’est quoi ton message ?

- Je m’en fous ! Je n’écris pas pour les nuls. Tant pis s’ils ne comprennent rien. Quinze comédiens et cinq musiciens, ça devrait suffire à contenter ce public. Ça bouge non ?

- Voilà le problème. Tu approches. Ce n’est pas le nombre d’acteurs et de musiciens que tu mets sur scène, ni cette kyrielle de techniques audio visuelles qui donneront le sens. Et je ne te parle pas des trois heures et demi de spectacle ! C’est beaucoup trop pour ne rien y comprendre, même si ça bouge, comme tu dis.

- C’est tout ? Ma coupe est pleine. J’arrête les répétitions et je reprends la pièce, ça te va ? Je vais l’adapter pour cette compagnie d’idiots pour un public de nase.

- Là, tu es loin du compte. Prends du recul. Un conseil, le matin dans ta salle de bain, regarde-toi dans la glace et ne te dis plus que tu es le meilleur. Ça serait un bon début et après réfléchis au message que tu veux faire passer dans ta pièce, en toute simplicité et on en reparle.





Consigne du 09/12/22 : Une fiction qui commence par : « Et pourquoi je devrais...en 15 mn

Catherine


jeudi 15 décembre 2022

La machine à laver



Elle est un peu bruyante, c’est vrai. Surtout au moment de l’essorage. Là c’est une calamité. On ne s’entend plus. L’émission de radio qu’on écoutait avec intérêt. La conversation qu’on aurait voulu poursuivre. Juste un brouhaha.

Je lui suis reconnaissante pourtant. Pour la corvée effectuée suivant le cycle sélectionné. Et surtout pour son assistance très professionnelle à maintenir le lien entre lui et moi. 
 
La machine à laver, c’est pour elle qu’il revient à la maison. Soit il la remplit avec son linge sale, enclenche un cycle de lavage et repart vers d’autres horizons. Soit il dépose simplement le sac de linge dans la pièce dévolue, charge à moi de recevoir le message. Complété ou non par un texto. Parfois le lien est simplement virtuel. La machine à laver est le tiers qui nous permet de conserver un dialogue minimal, utilitaire. « Continue à prendre soin de moi à travers ce linge à laver, étendre, plier ». Ou : « Prends soin de mon linge à défaut de prendre soin de moi ».

Parfois je suis là quand il passe. Alors on se croise aux abords de la machine à laver. La conversation est toujours périlleuse, hésitante, sur un fil. Le sujet du linge à laver, de la machine à faire tourner, nous sauve du néant. Elle nous raccroche aux branches. À travers elle, nous demeurons une famille. 



Consigne : L'animateur a demandé à chaque autrice de choisir un thème et de le traiter durant plusieurs semaines. J'ai choisi "la machine à laver".

mardi 13 décembre 2022

Fallait-il écrire ? 

Fallait-il écrire ?

Fallait-il écrire pour ne pas oublier ?

Comme chaque soir depuis ses onze ans Mireille écrivait dans son journal. A Noël, ses parents lui avaient offert un petit carnet en cuir rouge qui se fermait à clé avec un cadenas. Elle rangeait cette clé au fond de son tiroir, sous ses chemises de nuit. Personne ne devait lire son jardin secret.

Après ce carnet rouge, il y eut une succession de cahiers, calepins de divers formats mais toujours rouges. Mireille savait que les souvenirs s’estompaient et parfois même disparaissaient. Elle pensait avec bienveillance à la vieille dame qu’elle deviendrait un jour.

Écrire pour tracer sa vie au jour le jour, les petits et grands événements. Un quotidien avec sa charge d’émotions, de contrariétés, de colères et de joies. Mireille y décrivait sa chambre, sa maison et y tirait le portrait de chaque membre de sa famille. Écrire en secret, loin des regards et jugements. Écrire la rendait vivante à elle même. Une page blanche l’attendait chaque soir pour un mot ou une phrase voire plusieurs pages, selon son humeur ou sa fatigue.

Les années sont passées et aujourd’hui Mireille a 85 ans. Entourée de ses carnets, Mireille lit chaque soir quelques pages du récit de sa vie avec tendresse et émotion. Elle n’écrit plus depuis dix ans, ne se souvenant plus de sa journée. Plus rien ne s'imprime dans sa tête. Chaque instant s'envole immédiatement.

Pourtant elle se souvient avec intensité de cette enfant qu’elle a été. Elle aurait très bien pu se passer d’écrire dans tous ces carnets. Ses souvenirs sont gravés dans le marbre. Fallait-il écrire ?




Consigne : Fiction sur le thème choisi pour le trimestre en 15 lignes. Thème choisi: la mémoire

Catherine





samedi 3 décembre 2022

Le Salon d'Estelle

Vers dix heures du matin, le soleil d'hiver pénètre dans le salon en le baignant d'une douce lumière. Comme chaque jour Estelle l'attendait pour réchauffer ses vieux os. Son fauteuil relax orange avait été orienté de telle sorte qu'elle puisse profiter de ces rayons lumineux le plus longtemps possible. Estelle aime le soleil, elle l’accueille comme un ami calme et bienveillant qui lui rend visite.

Dès le réveil elle se sent bousculée par plusieurs personnes qu'elle ne connaît pas, toujours pressées pour lui donner la douche, son petit déjeuner et la faire marcher. Un début de matinée difficile, mais elle se laisse faire sans trop chercher à comprendre.

Avec le soleil Estelle se sent rajeunir. Elle peut, enfin seule, se laisser voguer aux grès de ses rêves et de ses souvenirs. La mince frontière entre l'état de veille et de somnolence ne la gêne pas. Elle aime sa maison et son salon où tout est à portée de mains : le téléphone à gros chiffres et touches programmées, les télécommandes, son magazine de mots codés, ses livres et bien sûr les photos de famille. Elle en reconnaît certains comme ses parents et même ses grands parents, quant aux autres, un peu trop nombreux, elle ne sait plus trop bien. Elle s'agace régulièrement lorsqu’elle subit un interrogatoire.

- Et elle, elle s'appelle comment, Maman?

- Brigitte

- Mais personne ne s'appelle Brigitte dans notre famille

- Dommage, Brigitte c'est joli. Après...vous êtes gentille, mais m’appeler maman, là vous en faites un peu trop je crois.

Ces questions superflues gâchent ces visites. Estelle apprécie la compagnie même si elle ne reconnait plus personne. Mais quelle importance ? Il fait bon vivre chez elle.



Consigne : L'animateur a demandé à chaque autrice de choisir un thème et de le traiter durant plusieurs semaines. J'ai choisi la mémoire 

Catherine