Présentation

L’Atelier d’écriture de Solliès-Pont a commencé en septembre 2018 à l’initiative de Tristan Choisel, auteur de théâtre et de chansons. Pourquoi ? Pour s’initier à l’écriture de formes brèves (nouvelles, saynètes…), pour perfectionner son style ou pour simplement explorer son potentiel créatif. Nous sommes sept à partager nos textes dans la bienveillance, un peu d’humour et toujours avec beaucoup de plaisir. L’association « L’Atelier de Solliès-Pont » abrite cette initiative et vous pouvez nous rejoindre si, comme nous, vous avez l’âme d’un écrivain amateur.

Ce blog est la mémoire de notre travail. Il sert à mettre en lumière quelques-uns de nos textes. Enfin, il permet de communiquer entre nous plus facilement.

mercredi 29 décembre 2021

Vie d'eux

Isabella et Marcello vivaient enfin ensemble. Il y a plus d’un an, un concert de rock débridé avait permis leur rencontre. Proches de la quarantaine et célibataires endurcis, ils avaient longtemps hésité à partager le même toit. Ils appréciaient de se voir plusieurs fois par semaine tout en conservant leur autonomie. Les mois défilant, le poids des doubles charges locatives avait été décisif. Cela devenait ridicule. Les réduire leur permettait d’envisager plus de fêtes et de loisirs.
Les copains et familles s’étaient réjouis de les voir enfin réunis dans une maison commune. Isabella et Marcello se répétaient chaque jour qu’ils avaient fait le bon choix. Une vraie ritournelle, un mantra. Cherchaient-ils à s’en persuader ? A vrai dire sans ce mantra, l’abcès aurait percé plus rapidement. Chacun ressentait l’autre en dévoreur d’espace. Ils n’avaient pas envie de tout exposer, de tout donner. Ils se sentaient menacé dans leur intimité. Les défauts de l’autre jaillissaient alors avec intensité. Cela passait par d’infimes détails, petits mais rebutants... Une odeur, une posture, une réflexion, des goûts, des aménagements…Ce malaise n’avait pas de nom précis, mais il était là, palpable, tapi sous le tapis avec les poussières que chacun y déposait furtivement. Le plus drôle, si on peut dire, c’est qu’ils agissaient en miroir, comme de vrais jumeaux.
Ils ont fini par se donner rendez-vous dans un café pour y voir plus clair et enfin poser des mots sur leur vie partagée.
La parole, en principe, libère. Il convenait de tester le principe.


 

 

Consigne 15l En couple depuis peu le narrateur découvre l’autre avec quelques surprises

Catherine

jeudi 23 décembre 2021

Parenthèse

Elle est assise sur le siège. Elle vérifie la barre de sécurité. Autour d’elle il n’y a que des jeunes, excités comme des puces. Elle se dit « c’est moi vingt ans en arrière ».

Le wagonnet se met en marche. Il commence poussivement son ascension. On prend de la hauteur. Déjà les premières sensations. A peine le temps de réaliser qu’elle est au sommet, voilà qu’il amorce la descente. C’est à son tour d’avoir vingt ans. Le cœur lui remonte dans la gorge. Elle se met à crier, comme les jeunes à côté d’elle. Elle lève les bras, la tête en arrière. Elle rit de peur, d’excitation. Elle suffoque. On remonte encore plus haut, puis le wagon prend le virage à toute allure. On se cramponne à la rambarde. On voit le sol tout en bas. La vitesse les fait tenir en équilibre sur le ciel. Elle vole. La vie, légère comme un oiseau. La vie, comme un bonbon acidulé. Sa tête se vide,elle n’a plus de pensées. Plus rien n’existe, sauf le vent qui lui entre dans la bouche et ébouriffe ses cheveux. On redescend plus raide, plus vite, plus fort. Et ça tourne, encore et encore. Les tours s’enchaînent. Elle danse dans le vertige. Elle s’agrippe aux nuages. Elle voudrait que ça dure toujours. Mais déjà le wagon s’arrête. On est arrivé.

Il lui faut un moment pour reprendre conscience de la réalité, pour se mettre à bouger. Elle s’extirpe à contre-cœur, à contre-temps. Elle pose le pied sur la terre ferme. Un manteau gris et lourd s’abat sur ses épaules. Tout lui revient intact, rien n’a changé. La récréation est finie.





Dominique

(Consigne : perte de conscience)

mardi 21 décembre 2021

Silence vertigineux

Il y a plusieurs sortes de bruits.

Dans certains bruits il y a du silence, il y a du vide. Certains bruits sont là pour cacher la misère, pour remplir le rien.

La nature a horreur du vide, dit-on. Dans ce cas est-ce vraiment la nature ? Je pense pour ma part qu’elle s’accommode bien du silence. Ce sont plutôt les gens qui, en général, en ont horreur. Est-ce que le silence leur fait peur ? Est-ce qu’il laisserait la place à autre chose, à une autre part de nous-même ?

Moi je l’aime bien le silence. Il invite à descendre en soi, à écouter nos petites voix, à regarder en face nos ressentis, nos émotions. Il dilate les contours du quotidien, ouvre des portes dérobées. Il nous entraîne vers des espaces oubliés, où résonnent des voix qui nous parlent de nous, qui nous parlent d’hier.

Silence vertigineux où se perd la rationalité. Alors bien sûr ça dérange, ou même parfois ça inquiète. Aussi accueille-t-on en urgence le bruit salvateur, sécurisant, anesthésiant. Surtout ne pas laisser la parole aux divagations de l’âme. Combler le vide à tout prix, l’encombrer, le saturer. Se griser de bruit, quel confort.

On était dans la même entreprise. On partageait depuis plusieurs mois le même espace dans l’entrepôt, les mêmes tâches un peu monotones. Je ne connaissais presque rien de lui.

Il traînait son transistor partout. Un jour pendant la pause déjeuner il l’a oublié sur un banc. Il a couru le récupérer, mais il avait disparu. Quand il est revenu à son poste, j’ai lu comme de la panique dans ses yeux.




 
 
Dominique

(Consigne : Texte libre)

mardi 7 décembre 2021

Une légère cicatrice

On n’avait pas déménagé dans la hâte, non, on avait pris le temps.
Cette maison, loin de la ville avec son jardin sauvage nous parlait de l’enfance. On l’avait aperçue derrière sa végétation exubérante, lors de promenades dans la campagne. Ce n’est pas que l’on vivait mal, auparavant, habités par le fourmillement de la ville, non, on était plutôt heureux. Mais cette maison, comment résister à ça. On n'arrêtait pas d’y penser. On en parlait tout le temps, on ne pouvait pas s’en empêcher. Finalement, on avait fini par s’y installer tranquillement.
Elle dégageait une sérénité qui nous enveloppait. Jusqu’à ce jour ou une légère faille installa un doute.
L’ombre d’un instant, on aperçut une lézarde sur le mur de la chambre. Cette fissure parut chaque jour s’élargir. Chaque jour avant de quitter la maison, on la regardait et chaque soir en rentrant on la surveillait. On ne pouvait pas s’empêcher d’en parler. Puis bientôt, on ne parla plus que de ça.
Une cicatrice pâle s’était creusée dans le mur écaillé. L’entaille s’ouvrirait-elle demain davantage ?
Notre rêve d’enfance prenait des allures de cauchemar.





Consigne : une fois emménagé dans un nouveau logement, le narrateur en découvre les vices cachés.
 
Christiane

Hey Jude

Leurs bras enlacés, leurs yeux fermés, leur haleine mêlée, dansant dans les volutes de fumée. Elle aurait voulu juste un baiser.
« Hey Jude don’t make it bad. »
C’est dans un garage enfumé, un samedi après-midi de ses quinze ans, elle a enfin la permission. La sono transporte la musique jusqu’au dehors. Les meilleurs copains du lycée sont déjà là.
« Hey Jude don’t let me down. »
Lui, osé, sous son pull glisse ses mains, elle, intimidée les repousse. Lui, pas gêné, s’aventure sous sa jupe et lui murmure à l’oreille : « Hey Jude don’t be afraid ».
Elle, elle le repousse doucement. Juste un baiser, elle aurait voulu.
Lui, dans son désir obstiné, la pousse dans l’obscurité.
« Remember to let her under your skin. »
Puis elle ne souviendra plus de rien.
Jusqu’à ce jour où elle entendra dans une conversation à son propos : une jolie petite pute.
« Hey Jude don’t make it bad. »







Consigne : perte de conscience.


Christiane

dimanche 5 décembre 2021

La fable

- Maman réveille toi ! Papa est parti au travail. Tu m’as promis hier d’écouter ma récitation avant de m’accompagner à l’école.
- Viens dans mon creux Petit Paul, petite sœur y est déjà.
Ondine a pour habitude de dormir en chien de fusil. Elle adore y caler son fils pour un câlin du matin. Petit Paul s’y réfugie aussi quand les terreurs nocturnes le réveillent. Mais ce matin là, Petit Paul n’a pas voulu de ce rituel. Il n’a qu’une envie, celle de réciter et mimer une fable ! Il veut déclamer devant sa maman, alors, prête ou pas, il y va :
« Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage... »
Ondine ne parvient pas à se concentrer. Elle sourit. Elle sait que son sourire rassure Petit Paul. Après, elle ne sait plus. D’autres mots s’entremêlent et se bousculent dans sa tête ; avortement, cauchemar, fécondité, fœtus, Fantine, fuite, fable… et puis elle entend son fils réciter. Elle comprend :
« Mettre corps beau, peau à peau, ne pas le lâcher mais l’attacher. » Elle dit bravo et merci pour cette belle récitation qui lui redonne de l’énergie !
- Vite, nous allons être en retard, j’en n’ai pas pour longtemps, déjeune, j’arrive !
Ondine se saisit de sa poupée fœtus, lovée dans le creux de son ventre et s’enferme dans la salle de bain. Elle l’enroule autour de sa taille avec une large écharpe. « Ce bébé n’a pas fini sa croissance, pense t-elle, plus que cinq mois sa bouche sur mon nombril et j’aurai un vrai bébé ».



 
 
Consigne 15l : Perte de conscience d’un personnage, quelqu’en soit la cause

Catherine