C’était la première fois qu’Amélie remettait les pieds dans le Sud de la France, depuis son départ précipité vers l’Angleterre, il y a dix ans.
Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir essayé. Mais à chaque tentative de retour, elle trouvait un prétexte pour ne pas partir.
Une fois, elle avait même réservé un vol Direct « Londres Gatwick / Marseille Marignane » et s’était rendue jusqu’à l’aéroport. Dans la salle d’embarquement, des éclats de voix avaient attiré son attention. Un couple se disputait avec virulence sous le regard triste de leur petite fille, une jolie blondinette tout juste en âge de marcher.
Alors elle avait fait demi-tour. D’abord en marchant lentement, pour se donner une chance de changer d’avis. Mais lorsque dans le haut parleur, elle entendit son nom, dernier appel, dernière chance de partir, elle s’était mise à courir d’une traite jusqu’à sa voiture. Là, dans ce parking de Gatwick qu’elle connaissait par coeur, elle avait pleuré à chaudes larmes, sur le capot de sa BMW, son bagage Vuitton jeté par terre, piètre spectacle d’une sublime Businesss Woman trentenaire en manteau de laine Saint Laurent.
Mais aujourd’hui elle avait réussi à le prendre cet avion. Elle atterrit à Orly et héla un taxi en direction de la gare de Lyon. Ensuite, elle monta dans un TGV pour se rendre à Nice, la Ville de son enfance. Elle fit l’effort de ne pas penser et de focaliser son attention sur le paysage fantomatique qui défilait à toute vitesse sous ses yeux.
Quelques heures plus tard, une voix annonçant le TGV en gare de Nice la tira de ses rêveries. Sur le quai bondé, un père Noêl dont la hotte débordait de bonbons agitait sa clochette en tonitruant d’une voix enjouée des « HOHOHO » pour le plus grand bonheur des jeunes enfants en âge d’y croire encore.
Sa fille à elle n’y croyait sans doute plus. Elle allait avoir dix ans le 24 décembre. Célia…, sa fille unique… elle ne l’avait jamais revue.
Un mois après sa naissance, Amélie avait fuit à Horsham, petit village dans le Sussex, au Sud de Londres, pour fabriquer des sculptures dans un atelier de design, abandonnant Célia à ses grands-parents sans explication.
Lorsqu’elle était tombée enceinte, elle avait inventé une histoire rocambolesque d’un amour interdit avec un jeune aristocrate qui ne l’épouserait jamais. Ses parents étaient furieux mais l’avaient obligé à garder cet enfant puisque le Seigneur lui avait envoyé. A 20 ans à peine, elle n’avait pas eu le courage de s’opposer à leur volonté. Comment leur dire qu’elle avait été violée par son oncle Albert, ce frère si charismatique dont son père ne tarissait pas d’éloges ? Alors elle était partie, hébergée chez ses amis rencontrés lors d’un worskshop de design à Paris, pendant ses études artistiques. Nourrie et logée contre un emploi de créations de sculptures, elle avait tentée d’oublier en se jetant à corps perdu dans son travail. Au fil du temps elle était devenu une sculptrice reconnue, non seulement au Royaume-Uni mais également dans le monde entier.
Depuis dix ans, un détective français qu’elle avait engagé lui envoyait chaque mois des photos et des nouvelles de sa fille et de sa famille. Le mois dernier, il lui avait appris que son oncle venait de décéder. Alors elle sut qu’elle pouvait rentrer. Rien ne pourrait excuser son absence et son silence mais elle leur dirait la vérité. Elle était prête… Prête à affronter leur mauvais accueil… Prête à affronter leurs reproches… S’ils l’aimaient, ils comprendraient. Elles, elle les aimait avec force depuis toujours et elle osait espérer que sa fille voudrait bien lui pardonner sa longue absence, peut-être même venir vivre avec elle à Londres.
Elle croyait fermement aux Miracles de Noël !!!
Michèle
Consigne : un texte dont le titre est "Un mauvais accueil"