Des hommes, les anciens, y avaient construit un puits, des restanques et un portail surplombé de deux vasques en pierre. Leur histoire émerge en grattant simplement la terre. Des trésors cachés refont surface. Bouts de vaisselle en porcelaine, fioles pharmaceutiques, flacons de parfum, roues de landau, vieux outils… Dès notre première rencontre, ces traces de vie me fascinent. Une reconnaissance, des retrouvailles comme des liens qui nous unissent.
Ces petits riens résonnent portés par des voix. Je les entends, elles m’appellent. Un écho me persuade de partager le temps restant de ma vie avec ces anciens pour les faire revivre. Tranche de vie nouvelle, superposée aux strates anciennes. Je deviens dépositaire d’une transmission.
Cet assemblage ne s’opère ni en douceur, ni en silence. Le vrombissement du tractopelle annonce la tempête : arbres déracinés, tranchées ouvertes, matériaux charriés. Des hommes travaillent. Les abricots, poires, prunes ne grossiront plus. Ils cèdent leur place au ciment, parpaings et ferrailles. La bétonneuse rythme les saisons et finit par s'en aller. La paix retrouvée donne des ailes aux oiseaux qui chantent de nouveau à cœur joie.
Une maison a poussé. La terre est toujours aimée. Le jardin doit être restauré. Promesse faite aux premiers hommes et au terrain.
Plusieurs entretiens ont permis au paysagiste de répondre à mes attentes. Écouter, réfléchir, ressentir l'appel du jardin et dessiner de nouvelles perspectives. Je ne suis que l’hôte provisoire de cet espace qui nous accueille. Le jardin habite sa terre et la main de l’homme ne fait que passer. L’objectif est de meurtrir le moins possible et de redonner à la nature ses droits. Les pins, amandiers, oliviers, noisetiers sont préservés. L’abricotier et le prunier remplacés. D’autres essences s’installent.
L’aménagement n’est pas seulement végétal. Le minéral prend place et nous conduit loin de nos rives. Après un long voyage, par terre et mer, des pierres viennent se marier à celles des restanques. Chacune est unique. De l’ocre au gris, du rose au rouge, au toucher sinueux, au relief râpeux ou lisse, elles ont été taillées par d’autres hommes en Inde. Ces dalles massives racontent leur histoire et celles des tailleurs de pierres. Leurs coups de masse résonnent encore. Je les entends. Posées, elles s’apaisent et reprennent vie en harmonie avec celles qui les attendaient.
D’autres les rejoignent sans avoir navigué. Transportées par camion de vieilles bordures de trottoir en pierre, chamboulées par leur voyage, atterrissent les unes sur les autres à grand fracas. Fraîchement déterrées, des restes de racines s’y accrochent encore. Je les découvre et fais connaissance. Premiers pas vers l’adoption. Leur nez est patiné, usé par les pas. Difficile de reconnaître celui de l’enfant sautillant de celui soutenu par une canne. Un vrai défilé, toutes catégories confondues. Ont-elles été frappées avec fureur ? Foulées par des travailleurs ? Caressées par des enfants rêveurs ? Ont-elles servi de refuge aux amoureux ? Je m' y assois pour les écouter chuchoter des bribes de vie. Fragments d’histoires mélangées et passées. Des pierres, des végétaux témoins et passeurs de vies. Que raconterez-vous de nous ?
Ce jardin est devenu nôtre et ces mémoires perdurent.
*
Vingt ans sont passés depuis le premier coup de pelleteuse. Vingt ans de partage, d'échanges, de soins, entremêlés de rêveries, de pensées, de méditation. Les arbres et les massifs ont grandi puis été taillés. Des essais potagers ont plus résisté que produit. Les pots de fleurs se sont multipliés. Et de boutures en boutures, le jardin n’est plus seulement composés de plantes aux noms scientifiques, il est aussi un jardin de prénoms. On y trouve des Yannick-aloès, un Robert-Hibiscus, des Jean-Pélargonium, une Chantal-Bégonia Rex, un ostéo-coléus… la liste est longue. Une bouture, un souvenir, un lieu, reliés à un prénom. Une responsabilité de les soigner et les voir pousser.
Les propriétaires des lieux sont revenus en famille. Une maman hérisson avec ses petits, des écureuils, des papillons, des oiseaux, des cigales et malheureusement des moustiques-harceleurs.
Consigne : L'animateur a demandé à chaque autrice de choisir un thème et de le traiter durant plusieurs semaines. J'ai choisi la mémoire
Catherine
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