Présentation

L’Atelier d’écriture de Solliès-Pont a commencé en septembre 2018 à l’initiative de Tristan Choisel, auteur de théâtre et de chansons. Pourquoi ? Pour s’initier à l’écriture de formes brèves (nouvelles, saynètes…), pour perfectionner son style ou pour simplement explorer son potentiel créatif. Nous sommes sept à partager nos textes dans la bienveillance, un peu d’humour et toujours avec beaucoup de plaisir. L’association « L’Atelier de Solliès-Pont » abrite cette initiative et vous pouvez nous rejoindre si, comme nous, vous avez l’âme d’un écrivain amateur.

Ce blog est la mémoire de notre travail. Il sert à mettre en lumière quelques-uns de nos textes. Enfin, il permet de communiquer entre nous plus facilement.

mardi 27 février 2024

L’escalator

Je viens d’être nommé directeur du personnel des ventes des Galeries Lafayette, boulevard Haussmann à Paris, au grand dam de mon collègue Daniel, pressenti pour le poste, mais mon assurance, mon dynamisme et mon projet de réorganisation ont séduit le grand patron qui n’a pas hésité une seconde à me confier ce rôle et le salaire qui va avec.

J’ai demandé à ma nouvelle secrétaire, que j’ai choisi pour ses talents de rédactrice mais aussi pour ses mensurations, de convier tout le personnel des ventes, à l’heure de la fermeture du magasin, dans la salle des conférences, afin de leur expliquer la nouvelle organisation que je vais mettre en place.

« Vingt-deux heures, est-ce une heure bien raisonnable pour réunir le personnel ? », me dit-elle et à mon regard froid elle comprend que mes ordres ne doivent pas être discutés et qu’elle n’est pas payée pour réfléchir. Sans attendre ma réponse, elle prévient tous les employés commerciaux que leur présence à cette réunion est obligatoire.

C’est donc d’un pas décidé que ce soir-là, j’arrive avec quelques minutes de retard pour être sûr que tout le monde sera présent. Il règne une ambiance bonne enfant malgré l’heure tardive et le silence s’installe progressivement lorsque je commence à expliquer comment l’organisation des ventes devra se dérouler dès la semaine prochaine. Je finis mon discours satisfait en les informant que dès demain, ils ne devront plus emprunter l'escalator pour se rendre dans les sept étages que compte le magasin. « En effet », leur dis-je, « l’escalator sera désormais réservé pour les clients et prendre les escaliers pour parcourir les 45 000 m2 du magasin vous sera profitable. »

Comment aurais-je pu imaginer que cette ultime mesure qui me paraissait anodine et mise en place pour leur santé physique me rendrait impopulaire auprès de l’ensemble du personnel et me coûterait mon poste quelques semaines plus tard ?


Michèle

Consigne : en quinze lignes, un texte dont le titre est « l’Escalator »

lundi 26 février 2024

Zip


La fée fermeture
Zébrée et métallique
Comme un éclair
Dans l’orage 
résiste ou se livre 
Comme un oracle

Certains avec rage

D’autres sans passion 
la tire et tire encore

Sans raison 

Dés lors, amère
comme une saison en enfer

Ma vie de fermeture 

S’écoule mécanique
Dans un geste automatique

Christiane

dimanche 25 février 2024

Peut mieux faire

Hugo s’était promis de s’attaquer dès les premiers jours de sa retraite au rangement de divers documents gardés précieusement. Cette fâcheuse habitude de tout garder « au cas où cela lui serait utile » avait fini par lui jouer de mauvais tours. Tout conserver l’étouffait de plus en plus. Il était temps de mettre de l’ordre et de jeter tout ce qui ne servait plus à rien. Hugo espérait que ce chantier-tri lui permettrait de retracer le fil de sa vie et lui réserverait des surprises. Une activité pénible à valeur ajoutée.

Tout y est passé, vraiment passé. Tout un passé, là étalé devant lui. En le parcourant, cela l’interrogeait sur son identité. Ce fut la valse de bulletins de salaires, remboursement de sécurité sociale, radios du dos, des pieds, des poumons, lettres de ses parents, celles de ses enfants partis aux quatre coins du monde, celles de son ex-épouse, les papiers du divorce, ceux de l’achat du terrain, les plans de la maison, ses bulletins scolaires…

Ah ! Ses bulletins scolaires ! Hugo les relut attentivement. Il fut frappé par une phrase qui revenait souvent dans les appréciations de ses professeurs : « Peut mieux faire », sans autres explications. Trois mots qui réveillèrent sa mémoire.

Les souvenirs remontèrent tirés par le fil du « Peut mieux faire ». Ses parents le grondaient car il pouvait mieux faire. Sa moyenne tournait autour de 10 sur 20. Il s’en sortait à chaque fois de justesse, sans redoubler.

Mieux faire, mais comment ? Personne ne croyait en ses efforts, même pas lui. Cette phrase le hantait le poursuivait, le questionnait.

Est-ce pour cette raison que sa femme l’avait quitté et que ses enfants vivaient si loin de lui, à l’étranger ? N’avait-il pas réussi à les satisfaire, eux aussi ? Tout comme au travail, il avait dû se battre à chaque fois pour obtenir une promotion.

Il n’en finissait pas de se demander s’il aurait pu en effet mieux faire.

Pouvait-il résumer sa vie en ces quelques mots ?





Consigne pour l’atelier du 16/02/24 / Un personnage à qui les autres reprochent de ne pas s’impliquer autant qu’il le devrait

Catherine

jeudi 22 février 2024

La fermeture Eclair


La fermeture Éclair, la modernité !
La libération de la femme !
Oui messieurs, grâce à moi fini le système d’œillets, crochets innombrables des corsets, les lacets infinis des bottines, les petits boutons à défaire dans le dos, fini la tendinite. Fini les boutons à recoudre, plus de gouttes de sang sur la neige.
Moi, la fermeture Éclair je suis si discrète, un petit geste furtif et c’est bouclé. L’affaire est conclue.
Suivant le manipulateur, je peux néanmoins vivre des aventures folles, il y en a qui ne savent pas y faire. Tiens hier soir là, un vrai cauchemar ! Un chic type hésite, flippe sur une mauvaise manip, un peu trop énergique. Le zip se grippe, il lui faut lubrifier le dispositif. Attention ! sans froisser, ni déchirer mes nippes.
Quelquefois voyez- vous, il m’arrive d’être coincée, des moments durs à vivre, mais facile à débloquer si je n’ai pas affaire à un abruti !
Dans mon cas, il n’est pas conseillé de se faire trop remarquer, le plus discret reste le noir, bien sûr, il y en a des pas futées de fermetures qui ont le mauvais goût de se teindre en rouge, jaune, verte, un vrai carnaval. On ne voit qu’elles.
Moi j’opte toujours pour le noir, le plus élégant, comme je vous le disais.
D’ailleurs j’ai gagné le concours, je suis Miss Éclair dans mon petit village.
Et j’espère couler des jours heureux avant d’être détrônée par la concurrence, ce vulgaire Velcro.


Christiane

Consigne : titre : la fermeture Éclair

mercredi 21 février 2024

Emballé c'est pesé

Je suis en train de me raser lorsqu’elle déboule dans la salle de bain.

« Ce n’est pas comme ça que je vois les choses », me dit-elle. « Moi je veux un mariage simple, en petit comité, c’est toi qui veux officialiser notre union en grandes pompes et j’ai voulu te faire plaisir, bien que je trouve un peu ridicule, après vingt ans de vie commune, de nous marier comme des jeunes tourtereaux, mais je n’imaginais pas que ce serait à moi de tout gérer, tu sais bien que j’ai énormément de boulot en ce moment, entre les enfants, les traductions et la vente de la maison… C’est facile pour toi, tu es toujours entre deux avions, et oui bien sûr, Monsieur est pilote d’Airbus A320 à Air France, ce n’est pas n’importe qui, il gagne beaucoup d’argent, ah ça oui, il gagne tellement d’argent que sa petite hôtesse de l’air de femme n’a plus besoin de travailler, ou tout au plus de gagner quatre sous avec ses traductions minables si ça lui fait plaisir, c’est bien comme ça que tu vois la vie, Mossieur le pilote n’est-ce pas ? Mes parents m’avaient prévenue, Bertrand a toujours été un égoïste, il faut que tu sois vraiment amoureuse pour ne pas t’en rendre compte ».

Elle vide son sac d’une seule traite et moi je ne l’écoute qu’à moitié. J’ai l’habitude avec elle. Régulièrement, elle me fait des reproches sur mon comportement mais je sais qu’elle est influencée par sa famille et qu’au fond d’elle, elle a conscience que je suis un homme formidable.

Je me retourne et lui adressant mon plus beau sourire lui rétorque : « c’est pour ça que je t’aime et que je veux t’épouser ma chérie, tu es une femme merveilleuse et une gestionnaire admirable, qu’est ce que je ferai sans toi ? » Décontenancée, sa colère retombe d’un coup et elle vient se blottir dans mes bras. Je pose mon rasoir et lui met de la mousse à raser sur le nez ce qui la fait rire.

« Et voilà "emballé c’est pesé", les femmes ce n’est pas compliqué, il faut juste savoir les prendre ».


Michèle

Consigne : Thème : « un personnage ou un narrateur à qui les autres reprochent de ne pas s’impliquer (ou trop peu) dans quelque chose » en 15 lignes, hors atelier.

lundi 19 février 2024

Copain d'avant

Une légère inquiétude. Se revoir après tant d’années... Une véritable folie. Je ne sais pas ce qui m’a pris de le contacter sur Copains d’avant.

Gérard, le beau Gérard qui me tétanisait... Il était assis juste devant moi. Je chavirais de voir son dos, sa nuque, son buste tonique, ses épaules carrées et ses cheveux blonds en catogan. Je n’avais pas besoin de m’envoler en regardant par la fenêtre, non, tout était là devant moi pour m’échapper du cours de maths. Après tout, avoir le brevet ou pas n’était pas ma première préoccupation.

Par contre, le revoir quarante cinq ans après, c’est plus compliqué. A l’époque, j’arrivais tout juste à lui parler, tant les battements de mon cœur tambourinaient. Mais maintenant, que lui dire ? A quoi ressemble-t-il ? Sans doute à un vieux voûté, peut-être gros et chauve ?

Faut dire qu’il n’a pas tardé à répondre à mon message. Était-il amoureux de moi sans oser me l’avouer ? Et que pensera-t-il en me voyant avec mes cheveux blancs et mes kilos en trop ? Me reconnaîtra-t-il ?

Je crois que j’ai fait une sacrée bêtise en lui écrivant et en lui donnant rendez-vous. J’aurais dû en rester aux échanges épistolaires ou aux souvenirs. Maintenant, ça risque de nous entraîner sur des terrains glissants.

Je m’inquiète et plus je réfléchis moins je résiste. Je vais y aller à ce rendez-vous mais je dois bien tout prévoir. Je tiens à lui montrer que le poids des années n’est pas une fatalité. Rien n’échappera aux préparatifs. Je décide d’établir un plan pour ne pas me laisser emporter : être en avance au rendez-vous, le voir arriver et décider de le rencontrer ou pas.

Arrivée sur le lieu du rendez-vous, en ce fameux jour j, je le guette en me cachant derrière des arbres. La statue près du bassin du jardin du Luxembourg semble me narguer, peu importe ! Mais oh surprise, Gérard est déjà là. Il n’a pas tellement changé, il se tient toujours aussi droit. Il n’est ni voûté, ni gros, ni chauve mais grisonnant. Je sens mon cœur tambouriner tout comme à 15 ans. Je me précipite

- Gérard, te voilà ! Tu n’as pas changé, je suis vraiment heureuse de te retrouver. C’est magique, 45 ans après !

- Désolé Madame, moi c’est Alexandre mais pour l’occasion vous pouvez aussi m’appeler Gérard.





Consigne en atelier du 26/01/24 : Incipit : « Une légère inquiétude »

Catherine

Incertitude

 Je suis glacée. Est-ce la mort qui approche ? Je finis par penser n’importe quoi. Je dois voir trop de films d’horreur. Dans la vraie vie, la mort ne sonne pas à la porte pour s’annoncer. Parfois, pas le temps de se retourner.

Pourtant, je suis glacée et en été c’est vraiment étrange. J’ai l’impression que je me suis vidée de mon sang. Mais où est-il passé ? Je suis sûre que mon cœur bat puisque je pense. Ou bien je suis déjà morte et ma pensée continue à cheminer. Si c’est le cas, je vais peut-être revenir à la vie. Ce qui est curieux, c’est ce froid. Un sidérant signal d’alarme m’accapare m’empêchant de réaliser que je ne peux plus bouger ni même ouvrir les yeux. Je le découvre avec effroi progressivement.

Mais que m’est-il arrivé ? Il faut que je me concentre pour sortir en priorité de cette sensation glaciale.

Si je ne reviens pas à la vie, il faudrait au moins que je sache ce qui m’a tuée, je partirai moins bête ! C’est important, très important. Se concentrer et réunir le peu de force qui me reste pour faire jaillir les souvenirs. Je crois qu’ils ne gèlent pas si on les entretient.

Je sens que cela remonte.

Ils sont informes, un vrai magma. Encore un effort, je ne veux pas mourir sans savoir.

Bien, je sens que cela se précise. Patience...

Oui, Je me souviens, j’avais rendez-vous avec Auguste pour aller au cinéma voir « Anatomie d’une chute ». C’était un beau soir d’été, un peu frais. Je marchais d’un bon pas, le sourire aux lèvres. Revoir Auguste et aller au cinéma me réjouissait et j’aimais contempler la Seine depuis le pont.

Et là, j’y suis, j’ai vu un énorme camion qui dérapait et arrachait tout sur son passage, y compris les barrières du pont. Puis le fracas monstrueux, le choc fracassant. Je tombe, je tombe de haut, de très haut. La chute, le fleuve glacé, puis plus rien.

Cette fois je peux mourir.





Consigne de l’atelier du 02/02/24 : Incipit : « Je suis glacée »

Catherine

samedi 17 février 2024

Que tu dis


« Ce n’est pas grave », que tu dis, « ça va passer ».

« Je sais », je te réponds, en prenant autant que possible une voix apaisée.

Mais déjà, je le sens arriver, ce long frisson glacé qui part de mon coccyx et qui remonte le long de ma colonne.

« Il faut dormir maintenant », que tu dis, « Il est trois heures du matin et j’ai une grosse journée demain avec les inspecteurs ».

« Oui, oui je me rendors », je m’empresse de te répondre, en regardant fixement la petite lumière rouge du radio-réveil qui égrène les minutes sur le plafond.

J’essaie de calmer les battements de mon coeur, en expirant profondément comme je l’ai appris en sophrologie, mais rien n’y fait, j’ai du mal à déglutir, je dois me lever…, tout de suite…!

« Mais qu’est ce que tu fais avec la couette ? », que tu dis sur un ton agacé.

Mais déjà je ne t’écoute plus, mes sens s’affolent, mon coeur s’emballe, je ne peux plus respirer…

« Appelle le 15, je vais mourir, appelle le 15 !!! »

« Mais non tu ne vas pas mourir », que tu dis, « c’est une attaque de panique, tu le sais, ce n’est pas la première fois !!! »

Mais moi je grelotte et je me pisse dessus… « Mais cette fois-ci c’est grave, je fais un AVC, appelle le 15 putain !!! », Je te réponds en hurlant…

Tu t’exécutes de mauvaise grâce pendant que mon coeur bat la chamade.

« Ils m’ont mis en attente…, merci vraiment, de m’avoir gâché la nuit !!! », que tu dis…

Michèle

Consigne : Titre : "Que tu dis" 15 lignes hors atelier

vendredi 16 février 2024

La belle vie

L'hiver finissait, elle venait d'avoir six ans. Le plus souvent, elle voyait sa mère dans son lit ; faire la grasse matinée puis de longues siestes l'après-midi. Elle trouvait que maman devenait vraiment flemmarde. La belle vie quoi ! Quelquefois, elle voyait des amis à la maison. Elle ne comprenait pas toujours les adultes. Ils ne parlaient pas beaucoup. Elle aussi avait la belle vie. On ne s'occupait pas trop d'elle. Personne sur son dos pour lui rappeler de se laver les mains avant de passer à table, de se brosser les dents avant d'aller au lit, se mettre un bonnet avant de sortir pour l'école. Ses devoirs, elle se débrouillait toute seule. Il lui arrivait de regretter de ne pas avoir un grand frère pour jouer et veiller sur elle.
Elle vivait dans une liberté infinie.
Un jour son père lui dit : " maman est morte."
 

 
 
 
Christiane.

Consigne : Un narrateur qui trouve un point positif à un malheur qu'il lui arrive.

Systéme D

Tu pourrais mouiller ta chemise. Au lieu de ça tu bailles !
Ça ne t'affecte pas peut -être que lors de la réunion du 25 Janvier la Banque Centrale Européenne ait voté l'augmentation des taux directeurs de 2,26 % à 2,90%.
Du jamais vu, de l'inédit mais toi, on te dit ça et tu te lèves pour faire pisser le chien !
Que la défaillance des entreprises progresse de 3 %, 
Tu t'en tapes ?
Le gel des financements aux entreprises que ça implique ! Les variations de l'inflation... 
Tu es au dessus de tout ça !
Les conditions financières restrictives, la crise délétère de l'énergie et les conflits armés... La morbidité à court terme, la détérioration de l'activité économique. 
Tu y penses toi ?
Tu crois peut-être que la politique de la BCE va rendre robuste ton CDD intérimaire ? 
Ne dis plus que tu ne peux rien y faire !
On ne te demande pas le grand soir mais lance une action ! Pas sur le marché évidemment, avec ta prime de précarité...
Mais sur ta chaîne, bon sang ! Sur ta chaîne de recyclage de bouchons plastiques. Une action qui fasse couler la chaîne ! Tu pourrais glisser des capsules de ta bière préférée !

Christiane.
 
Consigne : Un narrateur qui trouve le personnage pas assez impliqué dans une action ou une idée



Viande à part



A peine vient-il de franchir le seuil de la maison que Jeannette se précipite sur son mari en hurlant. « Non, mais tu ne sais pas ce que vient de me dire notre fille ?! » (Lorsqu’elle était en colère, elle ne l’appelait jamais par son prénom). Rolland n’a pas le temps de répondre qu’elle continue à vociférer d’une voix de crécelle : « Elle veut être bouchère, non mais tu imagines, bouchère ! C’est un métier pour une femme ça ?! »

Elle est tellement exaspérée que son visage est rouge et elle transpire à grosses gouttes. « Elle ressemble à un rosbif, voilà pourquoi notre fille est attirée par le métier de bouchère » pense Rolland. Il trouve cette idée si drôle qu’il ne peut s’empêcher de sourire.

« Non mais je rêve, ça te fait rire ?! » beugle-t-elle. « Nous allons devenir la risée de tous nos amis et toi ça te fait rire ! » Elle se dandine sur ses grandes jambes et ses yeux lancent des éclairs.

"Maintenant elle ressemble à une pintade", pense Rolland et pour cacher un rire impossible à réfréner, il fait semblant de tousser et s’empresse d’ajouter : « mais non, tu verras, elle va changer d’avis ».

« Quand je pense à tout l’argent que nous avons dépensé en cours particulier pour elle, pour qu’elle rattrape un niveau scolaire correct et qu'elle aille au lycée comme ses frères. Quel gaspillage et quelle perte de temps !" braille-t-elle. Et, en tournant les talons, elle rajoute rageusement avec dédain : "Tel père, telle fille !" Puis, rapidement, elle s'éloigne dans le couloir, tout en continuant à pester contre sa fille et son mari.

Rolland se surprend à l’imaginer en train de griller sur le tourne-broche qui sert à faire cuire le méchoui au fond du jardin, sa fille travestie en bouchère, en train de l’arroser méticuleusement avec une branche de romarin trempée dans de l’huile l’olive.

Un énorme rire le reprend qu’il ne cherche plus à contrôler.


Michèle






Texte écrit avec consignes en atelier "un des enfants est critiqué par les parents"


jeudi 8 février 2024

Tomber de haut


 
-  Oh Auguste pourquoi as-tu jeté le mixer ? 
-  Enfin Jeannette ! Il ne marchait plus !
-  Tu aurais pu le réparer mon amour ! 
-  Le réparer ma douce ? Il m'aurait fallu trouver des pièces de rechange. Mission impossible !
- Tu aurais dû le porter à la clinique du ménager Auguste mon cœur.
- La clinique ? Tu crois vraiment Jeannette qu'ils allaient lui greffer un moteur ?
- Enfin, tu pouvais au moins le porter à la ressourcerie lui répond Jeannette un peu énervée.
- Ma voiture vois- tu ne démarre plus.
- Bon ! Tu as bien un vélo mon amour ! 
- Mon vélo certes, j'ai voulu t'épargner ma douce, je suis obligée de t'avouer que la batterie est morte,   révèle Auguste mortifié.
- Quelle déception Auguste ! Je croyais avoir épousé un bricoleur et un écologiste convaincu !
- J'ai une solution Jeannette, on va réunir le grille-pain, le ventilateur, le mixer, l'aspirateur et on va  organiser une expo design dans le jardin !
 
Christiane.

Consigne : titre : Tomber de haut


Méprise

Il cherchait depuis un bon moment l’adresse qu’on lui avait donnée, quand quelqu’un lui a dit, c’est tout droit, deuxième porte à gauche. Vous verrez, vous ne pouvez pas vous tromper. C’est ce qu’il a fait. Il sonne, la porte s’ouvre. Il entre et se retrouve au milieu de gens qui discutent, rient, tout en buvant des cocktails. Il ne comprend pas. Il a dû se tromper de porte. Il devait simplement déposer un paquet chez un client qu’il ne connaît pas. Il est livreur d’objets de valeur.

Il tente de ressortir mais une femme vient vers lui et le remercie d’emblée, avec un grand sourire : « c’est trop gentil, vraiment, il ne fallait pas ». Il veut lui dire qu’il y a erreur, mais elle le prie de déposer le paquet sur la table là, près de l’entrée. Il ne sait que faire. Reprendre le paquet et partir ? Il hésite. Elle insiste, « venez vous joindre à nous, lui dit-elle, vous prendrez bien quelque chose ? » Embarrassé, il s’avance et prend le verre qu’on lui tend. Il aimerait vraiment repartir pour faire sa livraison, mais elle se tourne vers lui et lui dit : « vous êtes nouveau ? Je ne vous ai encore jamais vu ici. Depuis quand travaillez vous avec nous ? » Il bafouille, ne sait comment lui expliquer la méprise quand un homme s’approche d’eux et dit : « venez, ma chère, je vais vous présenter à notre PDG »





Anne 
 
Consigne : incipit : la grille est ouverte

mardi 6 février 2024

Le train bleu


Rendez-vous gare de Lyon, devant Le train bleu, sept  heures. 
Je regarde la grande horloge, une petite longueur d’avance, une marge de sécurité.
Je regarde les voyageurs se croiser sans jamais s’arrêter.
Je vois une fille qui passe, un lézard tatouée sur son épaule gauche.
Je vois le regard oblique d’un type qui rase le quai.
Je vois un mec courir à toute vitesse.
Par hasard, mon regard s’arrête sur une fille tranquille assise au milieu de la fourmilière, elle lit : Si Par une nuit d’hiver un voyageur.
Je reviens aux aiguilles de la grande horloge.
Je scrute le quai, le train de Bruxelles entre en gare.
Je regarde descendre les voyageurs, je ne te vois pas.
D’autres trains sur d’autres quais repartent. J’entends : "Le train en partance pour Chambéry, voie A, le train en partance pour Montpellier, voie D, le train en partance pour Marseille, voie E…"
J’entends quelqu’un jouer sur le piano un air ancien.
J’entends le brouhaha de la salle des pas perdus.
Je t’attends figé devant le train bleu.
Je lève les yeux sur la grande horloge.
Je balaie la salle des fresques.
Un marabout  me promet le mariage et de l’or.
Des militaires en treillis, mitraillette au poing patrouillent.
Un type troublant, encadré par des agents, ses yeux lancent des SOS, les gens s’écartent.
Rendez-vous gare de Lyon...

 

Christiane 

Consigne : Une légère inquiétude



La chapardeuse



J’aimais voler. Pas de mes propres ailes, non, j’aimais voler, prendre ce qui ne m’appartenait pas.

Née dans les années 50, je n’ai pourtant jamais été dans le besoin. Mes parents, bourgeois catholiques coincés, étaient propriétaires de vignobles dans le Bordelais. Ils n’avaient pas pu avoir d’autres enfants. Étant leur fille unique, rien n’a été assez beau pour moi. Il m’ont couvée à outrance, exigeant en contrepartie de bonnes manières. Ils m’ont prénommée Marie-Eugénie. A l’école, j’étais bien dans ma peau et très populaire. Mes amis m’appelaient Marie.

Ma mère, Marie-Antoinette, était mère au foyer et chaque dimanche nous allions avec elle et mon père à l’église. La semaine, ma mère passait son temps à lire des magazines et à acheter des tenues élégantes, ce qui ne la mettait pas en valeur car elle avait un physique disgracieux et un visage hideux. Mon père, travailleur acharné était au contraire un bel homme et je me demandais comment il avait pu tomber amoureux de ma mère. Fort heureusement je ressemblais physiquement à mon père.

Mon premier larcin eut lieu à l’église. J’avais à peine 9 ans. Le prêtre m’avait demandé de faire la quête. Avant de poser la corbeille au pied de l’hôtel, j’ai prélevé discrètement deux billets de 10 francs. Le plaisir que j’ai ressenti fût tel que je n’eus plus qu’une idée, recommencer. J’ai caché mon butin dans le cadre à photo de ma chambre, derrière une photo épouvantable où je trônais sur un lit à baldaquin à l’âge de deux mois, le ventre plissé des bébés bien nourris à la farine de lait. Penser qu’il y avait dans ce cadre le montant de mon forfait m’aida à le voir d’une autre manière.

Toute ma vie, j’ai continué à voler. Rien de très important : à l’adolescence, du maquillage dans les Monoprix, que j’offrais à mes amies reconnaissantes ; pendant mes déplacements professionnels, de la vaisselle, des couverts et des serviettes de bain dans les hôtels où je séjournais ; à la maison, de l’argent liquide dans le portefeuille de mon mari. Mon mari, parlons en. Un brave homme sans personnalité fils du meilleur ami de mon père, négociant en vins de Bordeaux. Nous n’avons jamais eu d’enfant à son grand désespoir. Je lui faisais croire que j’étais stérile mais en réalité je prenais une pilule contraceptive et l'ai prise jusqu’à l’âge de la ménopause. Je n’aimais pas les enfants mais je faisais semblant de souffrir de cette stérilité feinte et mon mari essaya toute sa vie de compenser ce manque en me passant tout mes caprices. Que les hommes sont naïfs, je pensais souvent, en riant intérieurement.

C’est à soixante quinze ans que je me fis « prendre » pour la première fois dans une supérette, avec une bouteille de whisky que j’avais planquée dans mon parapluie.

Avec mon petit chignon blanc bien rangé et mon tailleur strict, je fondis en larmes lorsque le vigile m’interpela à la sortie du magasin. Il m’avait repérée sur la caméra. D’abord incrédule, il avait attendu que je passe à la sortie sans achat pour intervenir. Je lui dis que j’étais très malade et que je ne savais pas pourquoi j’avais agi ainsi. Puis je le suppliai de reprendre la bouteille et de me laisser partir. Pris de pitié pour cette mamie si jolie, le vigile me dit « gardez la bouteille, Madame, je vous l’offre, mais ne recommencez plus sinon vous allez avoir de gros ennuis ! » Je le remerciai et l’embrassai avec une effusion de tendresse qui le mit mal à l’aise. Puis je sortis et me dirigeai vers ma Smart électrique. Une fois assise dans ma voiture, je fus prise d’un fou rire que je mis longtemps à contrôler. Je pensais à mes parents et à mon mari, tous morts maintenant. S’ils me voyaient ils seraient horrifiés. Mais je m’en fichais, j’étais vivante moi et mon fou rire repris de plus belle.

La prochaine fois, j’essaierais de voler quelque chose de plus précieux, de plus risqué, un bijou peut être. Cette idée me procura une excitation intense. Il fallait que j'élabore un plan d’action. Jusqu’à présent, je volais sans réfléchir, dans l’euphorie du moment présent.

Je rentrai chez moi et me fis livrer des sushis que je grignotai avec une coupe de champagne en écoutant « La Norma » de Verdi, heureuse d’être une chapardeuse.

Michèle - Fiction 45 lignes - Texte écrit avec consigne hors atelier